RDC : Les victimes des atrocités de l’Est, ont parlé au Pape François

RDC : Les victimes des atrocités de l’Est,  ont parlé au Pape François

Avec VATICANEWS FR

Troisième étape de son 40e voyage apostolique en RDC, acmé indicible de souffrances et d’espérances, le Pape François a rencontré quatre délégations de victimes des violences sévissant à l’Est du pays, à la nonciature apostolique de Kinshasa, mercredi 1er février après-midi. L’innommable, le déchaînement du mal à l’état pur, et pourtant au creux des horreurs, la lueur humainement difficilement envisageable, mais divinement présente du pardon.

Dans le salon de la représentation pontificale de la nonciature, après un chant d’entrée en swahili et la projection d’une éloquente vidéo, quatre victimes d’exactions ont livré leur témoignage devant le Saint-Père profondément recueilli et à l’écoute. Ces personnes sont originaires de villes de l’Est de cet immense pays, Butembo-Beni, Goma, Bunia, Bukavu et Uvira, chacune appartenant aux trois provinces orientales que sont le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et l’Ituri.

Un moment intense, ritualisé, où chacune des victimes a entrepris la démarche de déposer au pied la Croix un objet lié à son bourreau, signe du calvaire vécu, amorce d’un processus de guérison difficile. 

Un jeune agriculteur de 16 ans 

Face à une assemblée priante, la première victime à s’exprimer devant le Pape est un jeune agriculteur de 16 ans, Ladislas Kambale Kombi, qui a vu son père et son grand-frère assassinés en territoire de Beni. Sa mère disparue, il est seul avec ses deux petites sœurs. Il confie avec émotion au Saint-Père ne plus pouvoir dormir, car il a vu de ses propres yeux le massacre de son père.

«Grâce à l’accompagnement spirituel et psycho-social de notre Église locale, moi et les autres enfants qui sont ici, avons pardonnés à nos bourreaux», a-t-il énoncé avec difficulté, déposant aux pieds du Christ la machette identique à celle qui a tué son père. Deux autres petits enfants de la région ont fait de même, déposant un couteau.

Une jeune fille de 17 ans de Goma

La seconde est une fille de Goma, lisant le témoignage d’une jeune de 17 ans ne sachant pas bien lire le français: «Un jour nous allions puiser de l’eau à la rivière. C’était à Musenge. C’était en 2020. En route, nous avions rencontré des rebelles. Ils nous ont amenées dans la forêt. Moi, c’est le commandant qui m’a désirée. Il m’a violée comme un animal. C’était une souffrance atroce. Je suis restée pratiquement comme sa femme. Il me violait plusieurs fois par jour, comme il voulait, pendant plusieurs heures. Et cela a duré 19 mois, 1 an et 7 mois. J’ai eu, avec une de mes amie, la chance de m’échapper, après 19 mois de souffrances. De cette expérience, suis revenue enceinte. J’ai eu des jumelles, qui ne connaitront jamais leur père.

Avec la présence des dizaines de groupes armés, les tueries se sont intensifiées partout, les familles se sont déplacées à plusieurs reprises, les enfants sont demeurés sans parents, se sont vus exploités dans les mines ou plutôt dans les armées rebelles; les filles et les femmes ont commencé le calvaire de violences sexuelles de tous ordres et des tortures sans nom. «Votre Sainteté, en tout cela l’Église reste le seul refuge qui panse nos plaies et console nos cœurs à travers ses multiples services de soutien et de réconfort: les Paroisses et les services de la Caritas diocésaine restent nos lieux de recours et de secours», a assuré la jeune femme, déposant sous la Croix, la natte, symbole de «sa misère de femme violée», afin que le Christ la «pardonne pour les condamnations portées dans le cœur contre ces hommes», ainsi que la lance identique à celles qui ont transpercé les poitrines de «beaucoup de ses frères».

Un survivant déplacé 

Le troisième témoignage présenté au Pape provient de Bunia, de la part d’un jeune survivant d’une attaque du camp de déplacés de Bule en Ituri, disparu depuis, et donc lu par l’abbé Guy-Robert Mandro Deholo. Dans cette délégation, plusieurs jeunes ont levé leur mains amputés vers le ciel dans un silence qui s’est fait profond, avant que le récit de l’abbé ne reprenne. 

«L’attaque a eu lieu dans la nuit du 1er février 2022 par un groupe armé, lequel a fait 63 morts. J’ai vu la sauvagerie: des femmes éventrées, des hommes décapités. Nous vivons dans des camps de déplacés sans espérance de retourner chez nous, car les tueries, les destructions, les pillages, le viol, le déplacement des populations, les kidnappings, les tracasseries, bref, on dirait l’exécution d’un plan d’extermination, d’anéantissement physique, moral et spirituel se poursuit tous les jours.

Saint–Père, nous avons besoin de Paix et rien d’autre que de Paix, ce don gratuit de Jésus-Christ. Nous voulons retourner dans nos villages, cultiver nos champs, rebâtir nos maisons, éduquer nos enfants, cohabiter avec nos voisins de toujours, loin des bruits des armes ! Nous voulons que le mal perpétré en Ituri s’arrête, qu’l soit puni et réparé!», a imploré l’abbé congolais, déposant à son tour machettes et marteaux sous la Croix, afin que le Christ leur pardonne «le sang injustement versé».

Une femme de 33 ans

Enfin, le dernier témoignage arrive de Bukavu et Uvira dans le Sud-Kivu, lu par Aimée au nom d’Emelda M’Karhungulu, qui ne parle pas français.

«Des rebelles avaient fait incursion dans notre village de Bugobe; c’était la nuit d’un vendredi, en 2005. Prenant en otage tous ceux qu’ils ont pu, déportant tous ceux qu’ils avaient trouvé, leur faisant porter les objets qu’ils avaient pillé. En route, ils ont tué beaucoup d’hommes par balles ou au couteau. Les femmes ils les emportèrent dans le parc de Kahuzi-Biega. J’avais alors 16 ans. J’ai été retenue comme esclave sexuelle et j’ai subi des maltraitances pendant trois mois. Ils nous faisaient manger la pâte de maïs et la viande des hommes tués. De fois, ils mélangeaient les têtes des gens dans la viande des animaux. C’était ça notre nourriture de chaque jour. Nous vivions nues pour ne pas nous échapper. Je suis de ceux qui leur ont obéi jusqu’au jour où, par grâce, je me suis échappée lorsqu’ils nous envoyèrent puiser de l’eau à la rivière. Arrivée à la maison, mes parents m’ont conduite à l’hôpital de Panzi en passant par le centre Olame où j’ai suivi des soins appropriés. Par l’animation de l’Église j’ai dû assumer et accepter ma situation. Aussi, les personnes qui avaient un regard moqueur sur moi ont changé. Aujourd’hui je vis bien en femme épanouie qui assume son passé», confie-t-elle.

Leur province est un lieu des souffrances et de larmes. Aussi théâtre de catastrophes naturelles, boue des inondations, camps des sinistrés, promiscuité. «C’est vraiment le siège de l’immoralité. La prostitution bat le plein dans ces cadres de vie», déplore-t-elle.

À cause des guerres interethniques dans les plateaux, depuis 2019, dans les Hauts plateaux des Territoires de Fizi, Mwenga/Itombwe et Uvira, tous les territoires ont été abandonné aux hommes armés.

Cette victime des atrocités a placé sous la croix du Christ des habits des hommes en armes qui leur font encore peur, affirmant «pardonner à ses bourreaux» et «demander au Seigneur la grâce d’une cohabitation pacifique, humaine et fraternelle».

Le geste de réconciliation

Après le discours du Pape François, les représentants des victimes se sont approchés de la Croix du Christ, pour déposer les symboles de leur souffrance. Les cinq ont entouré la Croix, se tenant par la main, signe de communion et de réconciliation. Ils ont récité un acte d’engagement: «Aujourd’hui nous nous engageons à changer nos cœurs et nos vies pour que notre pays puisse changer. Nou nous pardonnons au pied de la Croix».

«Seigneur notre Dieu, de qui nous tenons l’être et la vie, Aujourd’hui nous déposons les instruments de nos souffrances sous la croix de ton Fils. Nous nous engageons à nous pardonner mutuellement et à fuir tout chemin de guerre et de conflit pour résoudre nos divergences. Nous Te demandons, Père, par ta grâce, de faire de notre Pays, la République démocratique du Congo, un lieu de paix et de joie, d’amour et de paix où tous s’aiment et cohabitent fraternellement. Que ton Esprit nous accompagne toujours et que le Saint-Père ici présent prie pour nous.» Le Pape François a conclu le moment par une bénédiction.

Janvier Barhahiga

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